01 juin 2014

BONNE LECTURE : Impossible de grandir

Pour m’être régalée à la lecture de La préférence nationale, de Kétala, d’Inassouvies nos vies et de Celles qui attendent, je savais déjà que Fatou Diome est une excellente écrivaine ; mais après avoir dévoré Impossible de grandir, je dis qu’elle est la meilleure (j’exagère peu, ou pas du tout).


Impossible de grandir, c’est 406 pages de pur bonheur et d’extase absolue ; Fatou Diome nous a gratifié avec ce roman d'un cocktail délicieusement enivrant, dont les ingrédients principaux sont un niveau de langue qui vole très haut, un artistique mélange de souvenirs et d’émotions, de peines et de joies, de colères et de relativisations, de tragédies et de grâces.

Dès la première phrase du roman, les présentations sont faites avec le personnage principal, qui se nomme Salie ; non pas Saly, diminutif de Salimata, mais Salie, comme qui dirait Souillée, ou Impure…Et on comprend dès l’entame du propos que l’histoire qui nous est contée est  remplie de douleurs muettes. On réalise petit à petit que ce livre est une catharsis, dont Fatou Diome Salie avait besoin pour se libérer de blessures secrètes profondément enfouies, parce que très anciennes, car remontant à sa plus tendre enfance, voire nées en même temps qu’elle puisque liées aux circonstances de sa naissance. C’est effectivement une catharsis, et Salie l’avoue sans ambages : « pour nous soulager, il faut nous départir de la part encombrante de la mémoire, ce qui vaut amputation". 


Fatou Diome Salie partage avec nous son combat contre elle-même, à travers le personnage fictif de « La petite », qui n’est autre que son alter ego ; elle nous livre sa bataille quotidienne pour tenter de mener une vie d’adulte normale, alors même qu’elle se rend compte à travers chaque acte qu’elle pose de la difficulté de son projet, parce que les boulets de son enfance lui pendent aux pieds, l’empêchant de tenir en équilibre « sur le tapis coulissant de la vie » ; elle avoue pourtant que ce qu’elle veut est très simple en réalité : juste marcher…juste marcher droit… « yo solo quiero caminar », a-t-elle souvent fredonné tout au long du livre, en faisant un clin d’œil à  Paco de Lucia… Très simple ? C’est peut-être vite dit, car en réalité, comment marcher droit lorsque chaque pas est alourdi par le poids des maux du passé ? Elle-même se le demande : « comment danser un joli tango avec le présent quand le passé, jaloux, vous jette un fil à la pâte ? ». Sortira-t-elle victorieuse de ce combat ? Je préfère laisser planer le suspens…car ce livre mérite d’être lu, et relu encore et encore. 


Impossible de grandir, c’est un savant agencement de thèmes d’une grande variété, allant de la construction de soi à la quête de l’apaisement, en passant par l’importance de la relativisation, la cohabitation avec la névrose, la problématique de la fierté, avec en toile de fond la douloureuse question de l’enfance malheureuse.


Impossible de grandir, c’est aussi, en filigrane, une merveilleuse poésie qui n’a rien à envier à celle des plus grands  aèdes, où la force, la justesse et la beauté des images ornent des analyses profondes et pertinentes, des assertions débordantes de véracités et de sagesses.C’est un livre qu’on ne lit pas d’un seul trait, car les images, toujours bien à propos et justes, sont tellement profondes qu’elles nous obligent à marquer un temps d’arrêt, pour les déchiffrer et en saisir les subtilités. 


En lisant ce livre, j’ai été marquée par le courage de Fatou Diome Salie, qui ose critiquer « l'oncle », dans une société matrilinéaire où la figure avunculaire est, à la limite, idolâtrée. J’ai admiré en Fatou Diome Salie une africaine à la fois enracinée et ouverte, une femme forte de sa détermination, faisant un pied de nez à la société qui ne sait que tenter d’entraver les déambulations des pèlerins de la vie en leur accrochant de lourdes chaines aux chevilles, qui ont noms entre autres convenances et traditions. J’ai apprécié une Fatou Diome Salie très honnête avec elle-même, avec sa famille, avec ses lecteurs et avec la société, ayant décidé que l’hypocrisie ambiante ne passera pas par elle, puisqu'elle préfère, crûment, dire la vérité et se trouver, plutôt que dissimuler ses mots sous le masque de la soumission/gentillesse et perdre son âme.


Fatou Diome est à la fois une humaine comme les autres, qui a accepté sa faiblesse et qui l’assume et une jeune femme d’une force exceptionnelle, aguerrie par les épreuves, dont la grandeur réside en ce qu’elle a pu se relever et rebondir, après avoir été violemment jetée à terre par les vicissitudes de l’existence.


Ce livre, c’est, sans en avoir l’air, beaucoup de valeurs rappelées, beaucoup de leçons apprises, une véritable mine de réflexions d’une haute portée philosophique. Avec Impossible de grandir, Fatou Diome vient confirmer un talent incontestable.


Pour ma part, j’ai trouvé à travers ce livre la réponse, ou une partie de la réponse, à  une question essentielle que je me pose très souvent, comme le font, je suppose, tous les écrivains : Pourquoi écrire ?


Ce livre m’a confirmé qu’en réalité, s’il s’agit bien d’écrire pour vivre sa passion, c’est aussi et avant tout écrire pour dire, mais également pour se dire ; c’est écrire pour partager certes, mais c’est surtout écrire pour se libérer, lorsque le trop plein d’émotions risque de causer l’étouffement. Il s’agit d’écrire, pour se retrouver…Pour dire vrai, sans avoir vécu le drame de Fatou Diome Salie, je me suis retrouvée dans chaque émotion qu'elle a exprimée ; j’ai confirmation de ce que je savais déjà : bien souvent, les écrivains ont la même histoire, déclinée certes en versions différentes en raison de la biographie personnelle de chacun et de chacune, mais essentiellement similaire, au regard de leur sensibilité et tenant compte des réalités intrinsèques qui varient d’une vie à une autre. A cet égard, pour tout écrivain en début de carrière, ce livre est une véritable source de motivations, qui prouve qu’il y a toujours moyen d’écrire quelque soit les profondeurs des entailles causées par le coutelas de la vie; qu’il y a toujours moyen de faire de la poésie, malgré la tragédie.


© 2014takianafissatoufall



Résumé:

Salie est invitée à dîner chez des amis. Une invitation apparemment anodine mais qui la plonge dans la plus grande angoisse. Pourquoi est-ce si « impossible » pour elle d’aller chez les autres, de répondre aux questions sur sa vie, sur ses parents ? Pour le savoir, Salie doit affronter ses souvenirs. Poussée par la Petite, son double enfant, elle entreprend un voyage intérieur, revisite son passé : la vie à Niodior, les grands-parents maternels, tuteurs tant aimés, mais aussi la difficulté d’être une enfant dite illégitime, le combat pour tenir debout face au jugement des autres et l’impossibilité de faire confiance aux adultes.

À partir de souvenirs personnels, intimes, Fatou Diome nous raconte, tantôt avec rage, tantôt avec douceur et humour, l’histoire d’une enfant qui a grandi trop vite et peine à s’ajuster au monde des adultes. Mais n’est-ce pas en apprivoisant ses vieux démons qu’on s’en libère ? « Oser se retourner et faire face aux loups », c’est dompter l’enfance, enfin.

Impossible de Grandir, Flammarion, mars 2013.


2 commentaires:

  1. En passant07:34

    Takia, tu es vraiment agreable a lire. Ce doit etre pourquoi, apres la lecture de ton article, j'ai envie de decouvrir le livre de Fatou Diome.

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  2. C'est le livre qui est bon! Je te le recommande vivement. Tu ne le regretteras pas.

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